CHAPITRE XVIII

Des rubans de fumée montaient toujours de l’entrée du hangar et se dissolvaient dans la pluie battante, mais le reste de la Villa Solis avait brûlé bien avant le début du déluge. Deux bombes à protons avaient réduit le site à une coulée de décombres et de pierre fondue, ne laissant que quelques cercles de fondations fantômes pour marquer les emplacements des dômes d’habitation. À la surprise de Ben, il ne sentit qu’une légère trace de mort dans la Force. Soit l’attaque avait eu lieu longtemps auparavant, ce que démentaient les feux qui brûlaient toujours, soit elle avait fait peu de victimes.

La voix aux intonations mélodieuses du pilote et commandant du skiff, un sous-lieutenant duros du nom de Beta Ioli, se fit entendre dans le casque de Ben. Ils étaient tous obligés d’en porter un pour étouffer les rugissements des énormes moteurs.

— Il s’est passé quelque chose de terrible ici, dit-elle. Vous captez quelque chose, premier maître ?

— Négatif, Madame, répondit Tanogo. (Le Bith, qui servait déjà avant que Ben ne naisse, était assis trois mètres derrière dans la cabine exiguë du Rover et s’occupait de la « station espionne » utilisée pour localiser et évaluer les cibles ennemies.) Pas un signal à moins de trois cents kilomètres – mais un escadron se dirige vers nous, venant de Warro Field.

— Des Miy’tils ? demanda Ioli.

— Négatif. Ce sont des Headhunters.

— Vous plaisantez ? grogna-t-elle.

— La milice planétaire utilise toujours des Headhunters, dit Ben, citant le fichier que Tenel Ka lui avait donné quand Jacen lui avait confié cette mission. Ils doivent être curieux à notre sujet.

— Personne n’envoie douze appareils pour jeter un coup d’œil, rappela Tanogo. C’est un escadron d’attaque.

— Je ne peux pas les blâmer, dit Ioli. Quelqu’un a démoli la propriété de leur Ducha. Identifiez-nous et voyez s’ils savent ce qui s’est passé.

Tanogo obéit, et un instant plus tard, Ben s’avisa qu’une vérification des systèmes d’armement était en cours. Soit le jeune technicien artilleur du skiff, un Twi’lek, avait pris sur lui d’en faire une, soit le premier maître le lui avait discrètement suggéré.

Quand le Rover fut descendu à une altitude de deux cents mètres, Ioli décrivit un cercle au-dessus de ce qui avait été la cour de devant de la villa, où une série de cratères étaient lentement noyés. Soudain, Ben ressentit de la frustration, mais si faible qu’il crut l’avoir imaginée. Puis ils passèrent au-dessus des trous, et le sentiment devint plus fort. Il reconnut un écho dans la Force.

— Ils étaient ici, dit-il.

— Qui ? demanda Tanogo dans ses écouteurs. Soyez plus précis, petit !

— Navré, s’excusa Ben. Jaina et Zekk. Ces cratères leur ont posé un grave problème.

— Je pense bien, fit la voix sarcastique du Bith. Être pulvérisés, ça m’ennuierait moi aussi.

— Premier maître ! (Ioli releva le nez du skiff et vira sur l’aile pour se poser.) Vous parlez de sa cousine !

— Ça va. Je ne sens pas leur mort, dit Ben. (Alors qu’ils repartaient vers les ruines, la frustration commença à faiblir.) Faites demi-tour, lieutenant. Je crois que nous devons aller par là.

Ioli obéit.

— Nous n’avons pas le temps de jouer avec le petit, Madame, dit Tanogo. Si nous devons chercher aux alentours, il faut nous poser maintenant. Cet escadron n’est plus qu’à vingt minutes et il n’a rien d’amical.

— Pourquoi ?

— En réponse à votre question, leur chef a répondu que deux Jedi ont largué des bombes sur la villa.

Ioli se tourna vers Ben. Son faciès de Duros était illisible, mais il put sentir son incertitude dans la Force.

— Jaina et Zekk ne sont pas dans les ruines. Je le saurais s’ils étaient ici.

— Même s’ils sont morts ? (Le ton de Tanogo n’était pas cruel, mais pragmatique.) Madame, si nous ne pouvons pas localiser les deux Jedi, nos ordres sont de déterminer ce qui leur est arrivé.

— Et d’utiliser Ben en tant que ressource, rappela Ioli, continuant de virer pour reprendre la direction qu’il avait indiquée. Voulez-vous être celui qui dira au colonel Solo que vous n’avez pas fait confiance à l’instinct de son apprenti ?

Tanogo se tut immédiatement, soudain inquiet. Ben se sentit à la fois heureux et vaguement mal à l’aise – heureux d’avoir été investi d’un certain pouvoir du fait de son association avec Jacen, et mal à l’aise que son don suscite la crainte plutôt que le respect.

Quand le Rover reprit sa direction initiale, la frustration et la colère devinrent plus discernables dans la Force. Ben se tourna sur son siège et regarda Tanogo.

— Je n’imagine rien, premier maître Tanogo, dit-il. La Force est réelle.

Les plis des joues du Bith s’agitèrent comme sous le coup de l’amusement.

— Si vous le dites. Vous n’avez pas à expliquer quoi que ce soit à un vieux comme moi.

— D’accord, fit Ben, qui ignorait s’il avait aplani les choses. Merci.

Il pivota de nouveau vers la verrière et vit une plaine de boue et d’herbe rendue floue par la pluie battante. Elle semblait s’étendre à perte de vue, et Ben savait que les marécages faisaient plus de trois cents kilomètres dans toutes les directions. Même un Jedi ne pouvait parcourir une telle distance en si peu de temps, en terrain meuble.

Il ferma les yeux et imagina le visage de Jaina, tout en se focalisant sur la frustration qu’il sentait dans la Force. Aussitôt, elle devint plus forte et le frappa d’un endroit à vingt degrés à tribord. Sans ouvrir les paupières, il pointa du doigt dans cette direction.

— Par là.

Ioli n’hésita qu’un instant avant de suivre son indication. De nouveau, le sentiment se fit plus insistant, mais dix degrés à bâbord.

— Plus par là, dit Ben.

Tanogo grogna, et Ioli ne corrigea pas tout de suite leur course. Ben essaya de ne pas laisser leurs doutes le troubler, mais la sensation s’atténua et devint plus difficile à discerner.

— Non, de l’autre côté, je crois.

Cette fois, Ioli ne fit rien.

— Ben, nous n’arrêtons pas de changer de cap. Si vous ignorez où ils sont, nous devons retourner à la villa.

Il rouvrit les yeux et fronça les sourcils.

— Faites-moi confiance, lieutenant. J’ignore où exactement, mais ils sont quelque part ici.

Elle le regarda longuement, puis hocha la tête.

— Très bien, agent spécial Skywalker.

Ils firent encore deux corrections de trajectoire avant que la frustration ne redevienne assez forte. Cette fois, Ben étendit ses perceptions aussi loin qu’il en était capable, imaginant Jaina et essayant de la toucher dans la Force.

Et soudain, elle fut dans son esprit avec lui, pleine de surprise, de joie, de soulagement – et d’urgence. Quelque chose n’allait pas et elle avait besoin de lui pour corriger cela.

— Ils sont droit devant.

Ben essaya d’ouvrir les yeux – peut-être le fit-il – mais Jaina n’avait pas lâché son esprit. Tout ce qu’il discernait, c’était son visage, à la fois heureux, inquiet et épuisé.

— Je crois qu’ils ont des ennuis.

— Quand vous dites droit devant...

— Là, répondit-il, montrant du doigt.

Le skiff vira... violemment.

— J’ai dit...

— Je sais ! cracha Ioli. Mais je ne vais pas m’écraser dans une colline. Pour personne !

L’image de Jaina s’évanouit, et deux lames colorées apparurent à la même altitude que le Rover. Ils étaient cinquante mètres devant, du côté de Ben, mais glissant peu à peu à tribord à cause de la manœuvre entamée par Ioli.

Le temps était si mauvais qu’il était impossible de distinguer les figures qui tenaient les sabres laser, mais Ben pouvait sentir l’inquiétude de Jaina alors que l’appareil continuait de faire demi-tour. Il utilisa la Force pour la rassurer, lui dire qu’ils les avaient vus.

— Tanogo, combien de temps avant que les chasseurs... ? demanda Ioli.

— Nous volons vers eux, lieutenant, répondit-il. Nous serons à portée de missile dans deux minutes, et les intercepteurs seront sur nous dans cinq.

— Nous avons un problème, dit-elle.

— Non, affirma Ben, qui déboucla son harnais anti-crash et se leva. (Heureusement, le casque était sans fil, il n’eut donc pas à l’enlever avant de se diriger vers l’arrière.) Ce sont des Jedi. Amenez-nous à une dizaine de mètres.

Ioli fit de nouveau demi-tour si brutalement qu’il dut s’ancrer au pont grâce à la Force pour ne pas aller heurter le fuselage. Elle décéléra vivement et utilisa les répulseurs pour se mettre en position, tout en donnant des ordres au technicien de l’armement.

Quand Ben atteignit la porte du sas, le skiff faisait du sur place à flanc de colline, et il ouvrit aussitôt l’écoutille extérieure. Pendant un instant, il ne vit rien que la pluie, le brouillard et des monticules de boue et d’herbe. Puis l’un de ces derniers se détacha soudain et atterrit dans le sas, éclaboussant la verrière. Un instant plus tard, le Rover tangua quand un poids plus lourd s’ajouta au premier.

— Ils sont à bord ! annonça Ben. Mais allez doucement. Ils n’ont pas eu le temps...

— Nous sommes à portée de missile, rapporta Tanogo.

Le skiff leva le nez et fusa vers le ciel, si vite que Ben dut attraper une poignée pour ne pas tomber sur le technicien. Deux bruits sourds résonnèrent dans le sas, et pendant une seconde, il pensa que Ioli avait perdu Jaina et Zekk.

Mais la suivante, l’écoutille intérieure s’ouvrit et deux Jedi pénétrèrent dans la cabine de vol, les épaules voûtées par la fatigue et couverts de boue de la tête aux pieds. Ils s’étaient plaqués les mains sur les oreilles, à cause du boucan des moteurs, mais cela n’empêcha pas un torrent de questions de se déverser par les lèvres de Jaina. Ben n’en comprit pas la moitié.

— Pour... hâte ? demanda-t-elle. Presque perdus...

Ben les conduisit aux seuls sièges de passagers, à mi-chemin entre le poste de Tanogo et celui du technicien, et il les invita à s’asseoir. Zekk accepta avec gratitude, boucla sa ceinture et mit le casque qui pendait à un crochet sous lui.

Jaina prit celui qui se balançait sous l’autre fauteuil, mais elle resta debout et le flot de questions n’avait toujours pas tari.

— Que fais-tu ici ?

Le skiff fut secoué quand le technicien déploya les leurres.

Jaina écarquilla les yeux, et avant que Ben n’ait pu répondre, demanda :

— Nous sommes attaqués ?

Il hocha la tête.

— Les Téréphoniens ont envoyé des Headhunters...

— Ces insectes puants ! (Elle fit un pas vers la station radar.) Combien ? Viennent-ils selon un vecteur de chasse ou d’intercep...

Zekk l’attrapa par le bras.

— Jaina, tu n’as aucune autorité ici. (Il la tira vers son siège.) Et nous venons juste d’être secourus, tu te rappelles ?

À la surprise de Ben, Jaina ne se dégagea pas, elle ne signala pas non plus à son coéquipier qu’elle ne lui avait rien demandé, et elle ne lui jeta pas un regard noir. Elle se contenta de s’asseoir et de mettre son harnais.

— Désolée, dit-elle. Je suppose que je ne suis pas encore habituée à la vie civile.

— Je dois retourner à mon poste, annonça Ben. Le lieutenant Ioli veut sauter dès que nous aurons quitté le puits de gravité, et je suis navigateur.

Jaina hocha la tête et fit signe à Ben de regagner le cockpit.

— Va. Reviens nous chercher si vous avez besoin d’aide.

Ben obéit, secouant la tête, sidéré. Jaina semblait apprécier Zekk. Sa mère avait peut-être raison pour ces deux-là, après tout. Quelque chose avait changé entre eux.

Le skiff fut secoué quand les missiles à concussion frappèrent les leurres et explosèrent. Ben jeta un coup d’œil à la menace en passant derrière le poste de Tanogo, puis se glissa dans son siège avec soulagement. Le premier maître avait exagéré juste assez pour leur permettre de s’échapper en toute sécurité. Les missiles téréphoniens avaient commencé à tomber, à court de carburant, en arrivant devant le mur de leurres. Quant aux vieux Headhunters, ils quitteraient l’atmosphère longtemps après le Rover, dont l’accélération serait alors maximale.

Après s’être attaché, Ben activa l’ordinateur de navigation et afficha la route qu’ils avaient prise pour gagner Téréphon.

— Je retrace nos sauts, lieutenant ?

— A-t-on le choix ?

Il étudia le dédale de voies étroites et tortueuses qui disparaissait dans les Brumes Transitoires.

— Des milliards, répondit-il. Mais pas moyen de savoir où toutes ces routes mènent.

Ioli opina du chef.

— C’est ce que je pensais.

Ben retraça leur route aller à l’envers pour ressortir des Brumes Transitoires. Quand il eut fini, le Rover venait d’échapper à la gravité de Téréphon. Ioli fit sonner l’alarme pour annoncer leur premier saut en hyperespace, puis le skiff sembla frissonner et les étoiles s’étirèrent, formant des lignes.

— Je peux me débrouiller maintenant, dit-elle. Pourquoi n’irais-tu pas voir nos passagers ? Qu’ils se décrassent et fassent leur rapport ! Le colonel Solo voudra un topo complet dès que nous pourrons le contacter.

Ben retira son casque – les moteurs du Rover étaient redevenus silencieux dès qu’ils avaient été dans l’espace – et emmena Jaina et Zekk dans les quartiers de l’équipage. La cabine était aussi exiguë que tout le reste à bord du skiff, avec une unité vapodouche dans un coin à l’avant, une cambuse dans l’autre, et à l’arrière, derrière une cloison, quatre lits.

Ben invita Jaina et Zekk à prendre place à une petite table.

— Vous devez avoir faim, dit-il en se tournant vers la cuisine. Que voulez-vous ?

Jaina haussa les sourcils – délogeant des flocons de boue séchée – puis baissa les yeux sur sa combinaison crasseuse.

— Je suis contente de voir que Jacen n’a pas réussi à faire disparaître l’adolescent en toi, gloussa-t-elle. Une tasse de caf fera l’affaire tant que je ne me suis pas lavée.

— Tu peux prendre ta sanivapeur en premier, dit Zekk en se levant. Je meurs de faim. J’avalerais n’importe quoi pourvu que ce soit chaud – et qu’il y en ait beaucoup !

Il serra l’épaule de Jaina au passage, puis entra dans la salle de bains pour se laver les mains et le visage. Elle ne tressaillit pas, elle ne leva pas les yeux au ciel – du moins pas avant de surprendre le regard de Ben.

— Quoi ? fit-elle.

— Euh... rien.

Il se tourna vers la machine à caf.

— Nous sommes juste amis, précisa Jaina.

— Aucune importance, fit-il.

— Il n’est même plus amoureux de moi.

— Si tu le dis.

Il lui remplit une tasse et quand il voulut la lui donner, il la surprit à regarder la porte de l’unité. Souhaitant qu’il lui ait fallu plus de temps pour préparer le caf, il prit l’un des couvercles que les membres d’équipage utilisaient pour boire à leur poste.

— Ben... je n’ai pas besoin de ça. (Le ton de Jaina suggérait qu’elle savait pourquoi il s’était détourné.) Que fais-tu ici, d’ailleurs ?

Il posa le caf sur la table.

— Jacen nous a envoyés.

— Sans blague. Pourquoi ?

— Parce que vous avez disparu après être allés sur Téréphon. Et soudain Tenel Ka a senti qu’elle ne pouvait plus se fier à personne, alors elle a demandé à Jacen de découvrir ce qui s’était passé.

— Nous avons réussi à lui transmettre notre « message », dit Zekk, dont le visage et les mains étaient propres, mais qui sentait encore plus fort le marais. Bien.

— Quel message ? demanda Ben. (Il commanda un sandwich à la viande, puis il se rappela que Zekk avait dû se pencher pour sortir de l’unité sanivapeur et ajouta un bol de ragoût de brogy.) Téréphon n’est pas exactement du côté de Tenel Ka, hein ?

Jaina secoua la tête.

— La Ducha rassemblait déjà sa flotte quand nous sommes arrivés. Et quand nous avons demandé à la voir, elle a essayé de nous faire tuer.

— Elle a dû penser que nous venions l’arrêter, ajouta Zekk, gardant un œil sur le multiprocesseur.

— C’est pour ça que vous avez rasé sa villa ?

Jaina fronça les sourcils.

— Nous ? C’était ses Miy’tils, parce que ses droïdes n’avaient pas réussi à nous éliminer.

— La Ducha a détruit sa propre demeure ? fit Ben. Elle devait vraiment vouloir votre mort.

— C’était le seul moyen de protéger sa sœur, qui espionne Tenel Ka, dit sa cousine. Elle pouvait nous empêcher de repartir en faisant simplement sauter nos StealthX, mais Tenel Ka étant Reine Mère, je suis sûre que la Ducha a fait ses devoirs et sait que les Jedi peuvent se contacter sur de longues distances.

Le multiprocesseur émit un son, mais Ben l’entendit à peine. Il était trop surpris par ce que Jaina venait de dire. S’il comprenait le système hapien – et il en doutait – la sœur de la Ducha Galney était le chambellan de Tenel Ka.

— Ben ? fit Zekk, étudiant la machine avec un air inquiet. Ce bruit, ça veut dire que mon en-cas est prêt, non ?

— Oh, euh, navré. (Ben déposa l’« en-cas » – deux rations standard – sur un plateau et le mit devant Zekk.) Mais ça n’a pas de sens. Tenel Ka était un Chevalier Jedi, non ?

— Et un bon, précisa Jaina.

— Alors ne serait-elle pas capable de le dire si quelqu’un lui mentait ? s’enquit Ben. Si Dame Galney l’espionnait ?

— Ce n’est pas le cas ? fit Zekk, qui se pencha pour fouiller dans les tiroirs. Où sont les cuillères ?

Ben prit des couverts dans la corbeille de stérilisation et les lui tendit.

— Dame Galney est toujours auprès de Tenel Ka.

Jaina eut l’air alarmé.

— Tenel Ka ne sait pas que la Ducha est une traîtresse ?

Ben secoua la tête.

— Pas à ma connaissance. La dernière fois que j’en ai entendu parler, elle comptait sur la flotte des Galney pour renforcer ses défenses.

Jaina jura et frappa la table du poing si fort qu’une grosse goutte violette s’échappa du bol de Zekk.

— C’est pour ça que la Ducha n’a pas voulu nous voir. Elle prétend être du côté de Tenel Ka et elle savait que deux Jedi devineraient que c’est un mensonge.

— Alors Tenel Ka pensera qu’elle arrive pour la défendre – et la Ducha pourra attaquer de l’intérieur. Logique. (Zekk hocha la tête, puis se rembrunit.) Je ne comprends pas pourquoi Tenel Ka ne sent pas que son chambellan est une espionne.

— Dame Galney sait peut-être cacher qu’elle ment, suggéra Ben. Si les Jedi peuvent le faire...

— La plupart en sont incapables, dit Jaina, le regard soupçonneux. Du moins pas l’un à l’autre.

Ben tressaillit intérieurement, réalisant que savoir dissimuler ses mensonges étaient l’une des techniques dont Jacen ne voulait sans doute pas qu’il parle.

— Bon, mais Dame Galney le peut peut-être, contra-t-il. Elle n’a pas besoin d’être une Jedi. Tout ce qu’elle a à faire, c’est se persuader elle-même qu’elle dit la vérité.

— Ou peut-être ne sait-elle pas qu’elle ment, ajouta Zekk entre deux bouchées.

Jaina se tourna vers son partenaire.

— Tu penses que Dame Galney ne fait pas partie du complot ?

Il haussa les épaules.

— Pas la peine d’être un espion pour laisser filtrer des informations. Il suffit d’être imprudent.

— Le woolamander aveugle, mais à l’envers ! dit Ben, tout excité.

— Le woolamander aveugle ? répéta Jaina.

— Tu sais, quand tu utilises quelqu’un d’innocent pour implanter de fausses informations. Mais là, tu utilises quelqu’un d’innocent pour obtenir des informations, et comme elle ne sait pas ce qui se passe, elle est son propre court-circuit. C’est parfait contre quelqu’un comme Tenel Ka.

Jaina eut l’air vaguement inquiet.

— Où apprends-tu ce genre de choses ?

Encore une fois, Ben tressaillit intérieurement. Les autres apprentis n’apprenaient-ils pas ce que Jacen lui enseignait ?

— Ça fait partie de mon entraînement avec la GAG, mentit-il, affichant une sérénité apparente dans la Force pour mieux les tromper. Nous avons besoin de savoir ce genre de choses.

— Eh bien, tu dois étudier dur, dit Zekk, parce que je pense que tu as raison.

Jaina hocha la tête.

— C’est parfaitement logique. Le véritable espion doit être l’un des consorts de Dame Galney. Tenel Ka n’a aucune raison de s’adresser à eux. (Elle regarda Ben.) Et les nobles hapiennes ont la mauvaise habitude de sous-estimer la duplicité des hommes.

Ce commentaire alarma Ben, mais il fit de son mieux pour rester calme, se rappelant que durant les séances d’entraînement, même Jacen ne savait pas toujours quand il mentait.

— Je suis content que mes leçons soient utiles. Honnêtement, je me demandais si ses instructeurs ne nous racontaient pas des bobards. (Il se tourna vers Zekk, qui avait dévoré son repas et sauçait le bol de ragoût avec du pain.) Tu sais comment te servir du multiprocesseur, si tu en veux encore, hein ?

Zekk étudia l’unité avec une lueur affamée dans le regard.

— Oh, oui, aucun problème.

— Bien. (Ben montra le casier sous son lit.) Mon uniforme de rechange devrait te convenir, Jaina, mais Zekk...

— Ne t’inquiète pas, répondit-elle. Je laverai le sien pendant qu’il prend sa vapodouche.

— Alors je ferai bien d’aller voir le lieutenant Ioli. (Il savait qu’elle ne lui avait pas dit de lui faire un rapport, mais il redoutait de dire encore quelque chose qui éveille les soupçons de Jaina.) Elle voudra contacter Jacen dès que possible.

— Demande-lui d’envoyer un message à Tenel Ka, demanda Jaina.

— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, remarqua Zekk. Nous savons qu’elle est entourée d’espions – même si Dame Galney n’en est pas un.

— Nous devons courir le risque. Tenel Ka doit savoir aussi vite que possible...

— La Reine Mère saura en même temps que Jacen, coupa Ben. Elle est à bord de l’Anakin avec lui.

Jaina fronça les sourcils.

— L’Anakin ?

— L’Anakin Solo – notre nouveau Destroyer Stellaire, répondit Ben avec fierté. Il est en orbite au-dessus de Hapes, et Tenel Ka se cache...

— Notre nouveau Destroyer Stellaire ? répéta Jaina. (Elle se leva et se pencha à travers la table vers son cousin.) Jacen a donné le nom d’Anakin à un vaisseau de la GAG ?

— Oui, il a pensé...

— Qu’a-t-il donc pensé ? siffla Jaina. Qu’il pouvait traîner le nom de notre petit frère dans le poodoo avec lui ?

— Euh, il faudra lui demander, énonça Ben, réalisant qu’il ne pourrait rien dire pour la calmer. Je dois y aller.

Il battit en retraite. Il était conscient de l’animosité entre Jaina et Jacen, bien sûr, mais jusqu’ici il n’en connaissait pas la raison. Elle était vraiment aussi instable et déraisonnable que Jacen le lui avait dit. Il était surprenant qu’elle soit restée dans l’armée si longtemps – mais les critères de la Nouvelle République étaient loin d’être aussi hauts que ceux instaurés par Jacen et l’amirale Niathal. Aujourd’hui, elle ne serait jamais admise dans une école de pilotage – et il se demandait même comment elle avait pu devenir un Chevalier Jedi. Jacen lui disait toujours qu’un bon Jedi se servait de sa colère – et non l’inverse.

Ben retourna à son poste et fit son rapport à Ioli, puis il encoda un message qui serait envoyé par l’HoloNet dès qu’ils seraient sortis des Brumes Transitoires. Après quelques minutes de réflexion, il ajouta un avertissement au sujet de la réaction de Jaina au nom du vaisseau de la GAG. Ainsi, Jacen pourrait peut-être éviter une nouvelle dispute comme celle qui avait creusé l’abîme entre sa sœur et lui.

Quand Ben eut terminé, il resta à sa place, de peur de donner à Jaina une autre raison d’être furieuse. Il ne voulait pas créer plus de tension entre elle et Jacen, mais ses motivations étaient aussi purement égoïstes. Son père menaçait déjà de mettre un terme à son apprentissage auprès de Jacen, alors il ne voulait pas que Jaina laisse entendre à ses parents qu’ils avaient des raisons d’être inquiets.

Heureusement, Jaina et Zekk lui facilitèrent la tâche. Leur marche forcée à travers les marais les avait laissés épuisés, et ils s’endormirent dès qu’ils se furent lavés et restaurés.

Ni l’un ni l’autre ne bougea pendant près d’un jour standard. Le Rover émergea alors des Brumes Transitoires, et Tanogo envoya le message de Ben. À leur étonnement, ils reçurent une réponse presque immédiate  Ben n’avait même pas pu calculer leur route pour rejoindre Hapes.

— Ç’a été rapide, dit-il.

— Trop, répondit Tanogo, qui s’empressa de le décoder. C’est un A +.

L’artilleur twi’lek, d’ordinaire silencieux, grogna.

— Un A + ? demanda Ben.

— À plus, ou au revoir, si vous préférez, expliqua Ioli. Quand un Destroyer Stellaire doit changer de position pendant que certains de ses éclaireurs sont sortis, il laisse un émetteur avec ses nouvelles coordonnées.

— D’accord, dit Ben, qui ne voyait pas le problème. Alors j’attends de les avoir pour calculer notre course.

— Ce n’est pas si simple, petit, fit Tanogo.

— C’est rare qu’un Destroyer Stellaire se déplace vers un éclaireur, ajouta Ioli. Et puisque les skiffs de reconnaissance n’emportent pas beaucoup de carburant ou de provisions...

— Et que nous avons presque doublé l’équipage, ajouta Ben, qui commençait à comprendre.

— Ça pourrait poser un problème, admit Ioli.

Ils attendirent en silence pendant que Tanogo finissait de décrypter. Puis Ben sentit son soulagement dans la Force.

— Ce n’est pas si mal, annonça-t-il. Nous pourrions même en retirer quelque chose si le lieutenant est généreux.

— Ça dépend de combien de temps encore vous allez me faire attendre, rétorqua-t-elle.

Le message apparut sur l’écran du cockpit presque immédiatement : SKIFF DE RECON ROVER, ALLEZ AU DÉPÔT DE ROQOO POUR RAVITAILLEMENT. ATTENDEZ CONTACT OU ORDRES.

— Et notre message ? demanda Ben.

— L’Anakin doit être dans l’hyperespace, dit le Bith. Nous essaierons encore et encore, en espérant qu’il passera entre deux sauts.

— Ça ne suffit pas, dit Jaina du fond de la cabine.

Ben se retourna et les vit, elle et Zekk, sortir des quartiers de l’équipage. Leurs visages étaient toujours marqués par les plis de leurs oreillers, mais ils semblaient parfaitement reposés – comme tout Jedi après une transe de récupération.

— Nous devons aller sur Hapes, continua-t-elle en s’avançant.

— Ce ne sont pas nos ordres, protesta Tanogo. Quand le colonel Solo nous dit d’aller quelque part...

— Le colonel Solo ignore notre message, coupa Zekk. Ou l’importance d’aller là-bas maintenant.

Jaina dépassa la station du Bith et s’arrêta derrière le fauteuil de Ioli.

— Vous savez combien il est crucial que la Reine Mère sache ce qui se passe, et vous avez l’autorité de prendre des initiatives.

Ioli acquiesça.

— Bien sûr. Mais la Reine Mère est à bord de l’Anakin.

— Pas s’il a quitté Hapes.

— Un chef d’État possédant le courage et l’intégrité de Tenel Ka ne laisserait jamais son monde capital alors qu’il peut être attaqué, ajouta Zekk. Où que soit l’Anakin, la Reine Mère est restée pour assurer la défense de Hapes.

— Alors je vous suggère de prendre une initiative, termina Jaina. Ou nous en prendrons une.

Ioli claqua ses petites mâchoires, puis grogna, agacée, et se tourna vers Ben.

— Que croyez-vous que voudrait le colonel Solo ?

Il regarda par-dessus son épaule et vit que Jaina et Zekk n’accepteraient aucun compromis.

— Ce message est de la première importance, dit-il. Et je ne crois pas que Jacen voudrait que votre équipage soit liquidé par les deux Jedi qu’il vous a envoyés sauver.

Jaina sourit à Ben, puis lui fit un clin d’œil.

— Bonne réponse. Jacen t’enseigne peut-être quelque chose après tout.